Au cœur des écoles de village

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Les élèves de l’école Saint-Félix avec leurs habits d’époque au Site de la Nouvelle France.

L’école, c’est le cœur de nos villages. Elle est le garant de la préservation d’une culture, d’un patrimoine, d’une valeur propre à chaque municipalité, car l’école appartient à la communauté. Si elle disparaît, les enfants des familles établies depuis de nombreuses générations devront aller étudier ailleurs. De nouvelles familles ne viendront pas s’installer et redonner un nouveau souffle à la communauté. L’école se vide aussi. Le vieillissement de la population n’épargne personne, les régions sont malmenées et l’emploi donne souvent du fil à retordre aux jeunes familles qui désirent s’y installer.

Comment les directions d’école relèvent ces nouveaux défis ? Quels en sont les enjeux ? Comment préserver un enseignement de qualité dans un petit milieu ? Pourquoi certains préfèrent travailler dans une école de village ? Cette enquête effectuée auprès de différents intervenants du milieu scolaire tentera d’apporter un éclairage nouveau sur un sujet en mouvement.

Au Bas-Saguenay, on peut voir ces dernières années les écoles primaires déployer de nouvelles pédagogies, de nouveaux moyens d’apprentissage en lien avec la communauté. À Saint-Félix-d’Otis, c’est le plein air qui est le fil conducteur du projet pédagogique. Du côté de Rivière-Éternité, une approche alternative permet aux parents de jouer un rôle majeur à l’intérieur des murs de l’école. À Petit-Saguenay, les Projets Passions laissent les jeunes choisir entre différentes activités et cette année, à L’Anse-Saint-Jean, l’école primaire lance son nouveau projet pédagogique avec le Pavillon des découvreurs.

Raynald Gagné, directeur de l’école Fréchette, s’explique sur cette nouvelle pédagogie : « C’est la responsabilité de chaque école d’avoir une couleur particulière. Une couleur en fonction du contexte dans lequel elle vit, à l’écoute des besoins et des intérêts des jeunes et de la communauté. La mission en est  fondamentale : à travers toutes ces activités, il faut avant tout préparer les élèves à la réussite scolaire. Il y a des études qui disent que les arts favorisent la créativité et la persévérance, d’autres préconisent le sport … qui dit vrai ? Nous, on pense que c’est en éveillant des passions, aussi on appelle dorénavant notre école primaire le Pavillon des découvreurs. Elle va permettre à l’enfant de toucher à différentes sphères de développement allant de la psychomotricité aux sciences, en passant par les saines habitudes de vie. »

Celui qui remarque que les parents sont de plus en plus à la recherche d’école à statut particulier, à projet innovateur, se demande si cette nouvelle tendance n’a pas un effet pervers, celui de dénigrer les programmes réguliers qui sont pourtant  également d’une grande qualité : « Pour avoir enseigné sept années en anglais intensif à l’école St-Joseph de La Baie, j’ai pu remarquer que bien souvent, ce sont les parents plus que les élèves qui désirent ces changements. Un jeune, ce qu’il veut, c’est rester dans son école, avec ses amis! »

Avec le Pavillon des découvreurs, l’école Fréchette tend à répondre aux intérêts de l’ensemble de la population. Mais surtout, elle sème des graines sur le parcours de l’enfant qui ira ensuite approfondir certains volets selon sa propre personnalité. « On ne voulait pas se restreindre à un seul projet, conclut celui qui croit en la grande accessibilité des services offerts dans les écoles de village. On ne parle pas ici de qualité, car les écoles en ville ont également du personnel très qualifié. Il s’agit plutôt de proximité, d’un petit nombre d’élèves qui permet un accès plus facile aux différents services. »

Les élèves de l'école Fréchette lors de leur activité de rentrée au centre récréatif Savanna
Les élèves de l’école Fréchette lors de leur activité de rentrée au centre récréatif Savana

De la compétition entre les écoles, il y en a toujours eu. Au début, c’est le secteur privé qui en proposant de nouveaux programmes savait s’attirer de nombreux élèves. Du même coup, les Commissions scolaires se sont questionnées, ajustées, réinventées. Actuellement, ce sont les écoles publiques qui entre elles alimentent ce que certains appellent une saine compétition. Claude Tremblay, nouveau directeur des écoles primaires de Saint-Félix-d’Otis, Rivière-Éternité et Petit-Saguenay s’explique : « Les écoles du Bas-Saguenay ne sont pas en compétition l’une contre l’autre, jamais il ne nous viendrait à l’idée de dénigrer le travail qui se fait dans l’école d’à côté. »

Claude Tremblay, le nouveau directeur des écoles de Saint-Félix, Rivière-Éternité et Petit-Saguenay
Claude Tremblay, le nouveau directeur des écoles de Saint-Félix, Rivière-Éternité et Petit-Saguenay

Mais ce dernier rappelle que « la mobilité des jeunes dans la Commission scolaire, cela existe ! À Charles-Gravel, à Dominique-Racine, aux Grandes-Marées, tout dépendant du programme, il y a un jeune qui va faire un choix et il a tout à fait le droit de changer d’école, en autant qu’il assume le transport pour s’y rendre. On est dans une approche différente ces dernières années, le parent, c’est un client. Il nous faut donc nous mettre à son service et réfléchir à ce que l’on peut lui offrir pour le fidéliser, en proposant un programme le plus riche possible, tout en n’oubliant évidemment pas au premier plan les besoins de l’enfant ! »

Même son de cloche à la Commission Scolaire des Rives-du-Saguenay (CSRS) où le terme de parent-client semble très bien assumé. Marie-Josée Tremblay, nouvelle directrice adjointe de la CSRS souligne : « Le parent-client est un concept qui s’inscrit dans les faits. Dans une école, c’est le conseil d’établissement, majoritairement constitué de parents et d’enseignants, qui accepte les projets pédagogiques ! C’est très important que les parents se reconnaissent dans l’école. Le Conseil Régional de Prévention de l’Abandon Scolaire (CREPAS)  le souligne dans ses recherches, le parent qui s’implique dans l’école, cela favorise la persévérance scolaire chez l’enfant. »

Pour Claude Tremblay, le principal défi d’une école, c’est de rester en mouvement. Peu importe le décret gouvernemental spécifiant que la dernière école d’un village ne peut fermer, les établissements doivent continuellement se renouveler. « Dans les petits milieux, la structure est moins lourde, on peut donc s’adapter plus rapidement aux besoins de la population et ce lien là, on a tout intérêt à le développer ! Et puis au primaire, on a plus de latitude qu’au secondaire, c’est plus facile de mettre sa propre couleur.»

Jean-François Henault, enseignant à l’école Du Vallon, le confirme : « Travailler dans une petite école, la proximité avec l’élève, permet de se sentir réellement impliqué dans la réussite de sa scolarité. Avec l’équipe d’enseignants, on travaille en collaboration et l’avenir de chaque jeune nous tient à cœur. » Celui qui a choisi d’aller enseigner à l’école Du Vallon considère que le défi principal dans le contexte actuel tient de la concertation : « Les communautés ont avantage à travailler ensemble avec transparence et à se mobiliser autour d’objectifs communs. »

L’école de Saint-Félix-d’Otis est actuellement saturée. Avec son projet plein air, elle reçoit 12 nouveaux élèves cette année. Elle n’a jamais eu autant de jeunes et une belle collaboration avec la municipalité, qui réaménagera la bibliothèque, va permettre d’accueillir tous ces nouveaux élèves. À Marie-Médiatrice, ce sont 5 à 6 nouveaux élèves qui viennent participer cette année au projet faune et flore à couleur alternative de l’école.

Le sentiment d’appartenance à son école, c’est quelque chose qu’Antonin Simard, président du conseil des commissaires de la Commission scolaire connait bien. Celui qui a fait tout son primaire à Petit-Saguenay et son secondaire à l’école Fréchette insiste : « La vie des petites communautés, c’est extraordinaire ! Aussi, à la CSRS, on veut offrir ce qu’il y a de mieux pour leurs élèves, une diversité de possibilités et des services de qualité. On veut aussi que chaque projet ait sa couleur pour que l’esprit d’appartenance soit bien vivant et que l’école rayonne au centre de la communauté. »

La Commission scolaire participe au mouvement en soutenant des projets comme l’École en réseau, un système de visioconférence qui permet aux professeurs de différentes écoles de créer des projets, d’unir leurs moyens et de s’offrir des ressources non accessibles individuellement. La communication, qui se fait également par écrit, permet aux élèves d’échanger, de s’ouvrir à d’autres réalités et de développer ainsi leur esprit critique. « École en réseau favorise une plus grande offre de service et de qualité, les jeunes de différentes écoles peuvent recevoir un atelier en même temps et travailler en équipe, précise Marie-Josée Tremblay. Notre Commission scolaire est d’ailleurs un précurseur dans le domaine avec 33 enseignants qui participent ou ont participé à la réalisation de 130 projets, majoritairement dans le Bas-Saguenay d’ailleurs. »

Marie-Josée Tremblay et Antonin Simard dans les bureaux de la Commission scolaire des Rives-du-Saguenay.
Marie-Josée Tremblay et Antonin Simard dans les bureaux de la Commission scolaire des Rives-du-Saguenay.

« Bien souvent, travailler en milieu rural est le fruit d’une décision mûrement réfléchie, d’un choix avisé accompagné d’une certaine philosophie de vie. On a donc des enseignants qui sont complètement dédiés à la cause, qui sont motivés et qui savent bien que l’école, c’est le cœur d’un village. Ce sont des personnes dynamiques qui donnent beaucoup à la communauté, conclut Marie-Josée Tremblay. » Celle qui a volontairement décidé de lâcher la direction de la polyvalente des Grandes-Marées pour relever ce nouveau défi à la Commission scolaire sait de quoi elle parle. « On voit qu’on est dans une ère de changement au niveau de l’éducation : une nouvelle loi va sortir prochainement des bureaux du ministère, le projet de loi 105, une politique de décentralisation afin de permettre aux écoles d’acquérir plus d’autonomie, de définir leur propre couleur. Et c’est la vision de ces changements qui m’a séduite.»

En soutenant quatre écoles primaires qui proposent chacune un projet pédagogique innovateur, la Commission Scolaire des Rives-du-Saguenay offre la possibilité aux parents de choisir une école répondant à leurs attentes tout en correspondant aux besoins de leurs enfants. Les nouvelles orientations d’autonomie et de décentralisation qui se dessinent du côté du ministère de l’Éducation permettent de supposer que notre région est déjà en route vers cette ère de changement.