Déposer ses valises pour faire perdurer le voyage

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Émile David est micro-producteur de vidéos et de photos nature.

Lorsqu’on parle d’environnement, on pense souvent à la nature et aux paysages qui nous entourent. Cependant, l’environnement est aussi humain et, nous le savons, la baisse démographique est un enjeu pour de nombreux villages du Bas-Saguenay. Quoi de mieux alors que d’aller à la rencontre de personnes nouvellement arrivées dans la région pour leur demander si le tourisme avait joué un rôle dans leur désir de s’ancrer de façon plus durable sur le territoire ? Nous étions curieuses de comprendre si, oui ou non, les attraits touristiques de la région avaient participé à leur volonté de venir s’installer ici. Nous avons donc eu la chance de rencontrer quatre belles personnes, qui viennent de s’installer, ou encore qui cherchent à s’installer dans le coin.     

Faire connaissance avec les nouveaux venus

Émile David est micro-producteur de vidéos et de photos nature. Originaire d’un « petit coin paradisiaque au bord d’un lac », dans les cantons de l’Est, il a suivi son attachement profond aux cours d’eau pour s’établir au bord de la rivière Petit-Saguenay, il y a presque deux ans maintenant. Nomade pendant de nombreuses années, le calme et l’espace naturel qu’il habite aujourd’hui sont précieux pour lui, comme un secret à partager avec modération.

Marie-Jeanne Plante vient de Lac-Beauport, à Québec. En recherche d’un mode de vie plus écologique et plus aligné avec ses valeurs, elle réside à l’Anse-Saint-Jean depuis l’automne passé. Motivée par le projet vert d’innovation éducative en lien avec la nature, elle travaille notamment à l’école du Vallon. C’est le genre de personne qui aime sauter dans les lieux « bouillonnants » d’actions et de projets, et selon elle « ça s’passe dans l’Bas-Saguenay ! »

Jonathan Pouliot, originaire de Montréal, a étudié en ATM (art et technologie des médias) au CÉGEP de Jonquière. Lors de ses études, en 2013-2014, il découvre le Bas-Saguenay en tant que patrouilleur de ski au Mont Édouard. Il est alors tombé dans « une station de ski régionale authentique » qui a su le charmer. Il s’est alors dit « My god, je me suis trompé de carrière. Faut que j’trouve une façon d’habiter dans l’Bas-Saguenay. » Dix ans plus tard, son rêve devient réalité en 2022 lorsqu’il achète sa maison à Rivière-Éternité.

Camille Carle est conseillère en développement récréo-touristique, ambassadrice régionale de la communauté de pratique de plein air Les Chèvres de Montagnes, et on en passe. Petite, elle voyagea en voilier sur le Saint-Laurent avec son père et son grand-père. Quand ils arrivèrent dans le Saguenay, elle dit à son papa : « Moi, j’veux vivre icitte. » Elle est tombée en amour avec le Fjord, puis, quelques années plus tard, avec un maraîcher des Paysans du Fjord. Depuis le mois de mai, elle prend racine à Saint-Félix-d’Otis. Elle est d’ailleurs très heureuse du retour de sa municipalité dans notre beau journal communautaire.

Malgré leurs histoires singulières, nous avons identifié plusieurs points communs entre les récits d’installation dans la région de nos interviewés. Bien entendu, chacun est tombé en amour avec les paysages, les montagnes, les cours d’eau, bref, la qualité visuelle de notre environnement naturel. Émile avait même « l’impression d’être dans un bain de nature » lorsqu’il a visité sa maison, durant la crue du printemps. Mais surtout, chaque histoire commence, non pas par le visionnage d’une publicité touristique attrayante, mais plutôt par une relation humaine. Tous avaient un ami installé dans la région qui leur a permis de découvrir l’endroit, de pouvoir y rester un long moment, d’avoir une raison d’y revenir souvent ou d’être tenté de vivre selon le même mode de vie. Merci à Arianne Benoît, Yannick Limary, Justin Gagnon, Alexandre Circé ou encore Jérôme Côté d’avoir été des ambassadeurs inspirants de notre région.

Les attraits touristiques comme bougies d’allumage

Jonathan Pouliot et sa conjonte Jessica. Jonathan est originaire de Montréal, a étudié en ATM (art et technologie des médias) au CÉGEP de Jonquière. Lors de ses études, en 2013-2014, il découvre le Bas-Saguenay en tant que patrouilleur de ski au Mont Édouard.

Les offres et installations touristiques dans la région ont pu contribuer à leur installation dans la région, mais au final, « c’est beaucoup plus que ça ». Pour Marie-Jeanne et Jonathan par exemple, c’est le Mont-Édouard qui les a charmés au début, mais ce n’est pas nécessairement ce qui les fait rester. À Saint-Félix, Camille a réalisé que le tourisme l’avait attirée et motivée à s’installer car « elle sent qu’elle a de l’espace pour créer des projets et qu’une offre complémentaire à la villégiature est possible. » Elle perçoit le tourisme comme un « espace de création. » De toute façon, tous sont d’accord pour dire que le tourisme est indispensable à l’économie de notre région. Pour aller plus loin, Émile va même jusqu’à dire que « ça prend ce revenu pour réussir à avoir les ressources et installations nécessaires pour surveiller les populations de saumons, par exemple, et tenter de relever la population. » Les infrastructures touristiques « contribuent à l’intégration des nouvelles personnes, parce que ce sont des lieux où la socialisation est facile. Ce sont des lieux rassembleurs, humains, chaleureux », d’après Marie-Jeanne, pour les visiteurs mais aussi pour les résident·es.

En effet, selon cette dernière, quelques entreprises touristiques dans la région semblent bien équilibrées entre les services apportés à la clientèle touristique et à la communauté.      « Par exemple, au Café du Quai, je vois une entreprise qui est développée, mais qui est ancrée et qui laisse place au télétravail pour les gens d’ici. C’est pas juste un établissement saisonnier, pour les gens en visite. » Fjord en kayak et Voile Mercator intègrent un volet éducatif durant leurs sorties sur le Fjord du Saguenay. « Le Parc marin est d’ailleurs un atout pour ces entreprises offrant des moyens de transport silencieux et responsables », ajoute Jonathan.

Le dynamisme maraîcher et communautaire séduit la jeune génération

Marie-Jeanne Plante vient de Lac-Beauport, à Québec. En recherche d’un mode de vie plus écologique et plus aligné avec ses valeurs, elle réside à l’Anse-Saint-Jean depuis l’automne passé.

Au-delà des paysages et amitiés, les éco-communautés et fermes dans la région peuvent aussi être des éléments déclencheurs à l’établissement. « En maraîchage, les fermes comme les paysans du Fjord, les Jardins de la montagne ou la Ferme d’en haut sont vraiment inspirantes », explique Marie-Jeanne, attirée par ces lieux. Pour Camille, qui cherchait un ancrage territorial et communautaire, une ferme fut aussi un bel endroit pour s’enraciner. Plus largement, ce sont les communautés de nos villages qui ont donné le goût à nos quatre interviewés de s’installer dans la région. « C’est super cliché de dire ça, mais je sentais que la connexion était simple avec les gens du Saguenay, et je le pense encore », nous confie Émile. En fait, leur intégration était facilitée par les gens de la place. Après avoir passé un temps dans l’extension de l’éco-hameau du GREB à Saint-Félix-d’Otis, les personnes que Marie-Jeanne a rencontrées ont, par exemple, tout fait pour qu’elle puisse s’installer rapidement dans la région. De même, lorsque la conjointe de Jonathan est arrivée avec son cours de Muay Thaï (boxe thaïlandaise) à Rivière-Éternité, « tout le monde était super enthousiaste. Serge et Robin de la municipalité sont toujours prêts à l’aider. Ils sont très réceptifs », nous explique-t-il. Il paraîtrait qu’il a aussi « des voisins en or ». En outre, plusieurs autres arguments ont ressurgi durant nos échanges, comme le sentiment d’avoir un pouvoir d’agir dans une petite communauté, l’accessibilité financière des logements par rapport à d’autres régions du Québec ou encore le réseau d’acteurs tissé serré et les nombreux mouvements entrepreneuriaux dans le Bas-Saguenay.

À la recherche d’un équilibre

Camille Carle est conseillère en développement récréo-touristique, ambassadrice régionale de la communauté de pratique de plein air Les Chèvres de Montagnes, et on en passe.

Pour Camille, le chemin reste encore long avant d’arriver à un bon équilibre entre le tourisme et les locaux : « On peut dire que la région est attrayante par le Fjord, mais si les citoyens n’ont pas accès au Fjord, comment tu veux qu’ils en profitent ? ». Pour elle, « la protection du territoire passe par son utilisation. Si t’y vas jamais, tu n’auras pas de sentiment d’appartenance et tu ne voudras donc pas nécessairement le protéger. » De plus, il lui semble qu’un clivage économique soit initié, par les hébergements de villégiature et le manque de logements, entre les personnes qui souhaitent s’installer et les personnes de passage. L’embourgeoisement est une peur aussi partagée par les autres interviewés : développements immobiliers de tourisme de luxe, Air BnB… « si on ne laisse pas la place à de nouvelles familles, parce qu’on est centré sur le tourisme, on va créer un déséquilibre qui peut nuire au reste de l’économie et du village », selon Marie-Jeanne.

Quelles seraient alors les pistes de solution pour atteindre cet équilibre ? Chacun y va avec son instinct et ses idées. Pour Marie-Jeanne par exemple, « il serait indispensable de promouvoir un tourisme éducatif et responsable. Pour cela, il faudrait travailler de pair avec des organismes comme l’AGIR, qui font un excellent travail pour mailler les partenaires locaux et des experts en environnement. » Par exemple, un circuit agrotouristique dans la région mêlerait éducation, valorisation des producteurs et tourisme. C’est ce genre de projet qu’il faut encourager selon elle : « Il faut être conscients de toute la richesse qui est déjà là. De bonifier, d’améliorer, de nourrir et de mettre de l’engrais sur les petites graines déjà plantées dans toutes les fermes qui m’ont amenée ici, des fois c’est suffisant. » Émile partage un peu cette réflexion. Il considère que le calme, la nature et la liberté offerte par l’immensité de nos territoires sont des choses simples à chérir, avant de promouvoir la multitude d’activités et de sensations fortes possibles de vivre ici. Comme Marie-Jeanne, Camille miserait sur la concertation à l’échelle régionale, mais aussi au sein de chaque communauté pour trouver un équilibre entre tourisme et communauté. Elle verrait « une offre touristique et citoyenne qui permettrait de nous relier, au travers d’espaces accessibles par tous et toutes et ainsi développer le sentiment d’appartenance au Bas-Saguenay. » Le rétablissement et la prolongation du sentier des Murailles en seraient le début ! Ces liens pourraient aussi être nautiques, ruraux, etc. Elle pense notamment à valoriser les accès municipaux au Fjord, des circuits de pêche ou une piste cyclable par les ZEC en arrière-pays, des circuits agrotouristiques, et la voie maritime. Et pourquoi pas une navette sur le Fjord accessible pour les résident-es du Bas-Saguenay ?